A l'occasion de son exposition en solo à La Fondation Fernet Branca, dans l’espace octroyé à la Galerie Bertrand Gillig au sein de « Pop-up galeries », nous en profitons pour scruter les peintures présentées de Leonardo Vargas ainsi que l'univers de cet artiste contemporain à travers son regard.
"Aria" | Huile sur médium 67 x 52
"Dans cette expo, il y a des peintures qui correspondent à trois séries différentes… chacune propose une réflexion différente même si elles partagent des points communs…"
L'EXPOSITION À TRAVERS LES YEUX DE L'ARTISTE
"Daguerréotypes", "Notes d'Archive" et "Aria" sont les trois séries exposées à La Fondation Fernet Branca à Saint Louis, en Alsace. A défaut d'y être en personne, Leonardo Vargas prend le temps de nous faire vivre l'expérience à travers ses yeux. Let's dive in !
« Daguerréotypes est le titre de la première série, et aussi le nom qu’on utilisait pour se référer aux photos à l’époque. Ce sont donc des peintures en noir et blanc qui viennent de ces images photographiques anciennes. Pourtant, les images que j’ai choisies comme point de départ pour les peintures ne sont pas les plus réussis.… Au contraire! Il s’agit de photos qui ont été rejetées, écartées et jetées à cause de leurs défauts, leurs défaillances… Pourtant, il y a une certaine poésie dans ces défauts de l’image. Ces défaillances rendent l’image visuellement plus intéressante, elles deviennent donc une vertu. Elles interrompent d’une manière la lecture pour troubler l’image du modèle et en même temps, elles nous rendent conscients de la fragilité de la photo à l’époque, où la moindre perturbation pouvait gâcher le résultat. Mais à la fin, cette fragilité est partagée avec les modèles, les gens qui ont posé devant l’appareil photo il y a 200 ans… Eux-mêmes étaient soumis aux changements de l’époque et fragilisés par tout cela, comme n’importe quelle autre personne. Au-delà du discours photographique, je crois que ces images de daguerréotypes ratés nous rendent conscients de notre propre fragilité en tant qu’humains et de notre condition éphémère, soumise au passage du temps. J’aime bien penser que ces images peuvent trouver une sorte de rédemption, dans ce cas, à travers la peinture. »
"La peinture m’intéresse aussi en tant que pratique qui a un certain poids historique à partir duquel on peut travailler. Il ne s’agit pas forcément de rendre un hommage mais plutôt d’être en dialogue… il y a des choses à comprendre dans ce type de dialogues…"
"Daguerréotype" | Huile sur médium | 90x70cm
« Pour l’autre série, « Notes d’archive », je vous raconte un peu : Je collectionne des images qui viennent de sources différentes, notamment de l’histoire de l’art, de la mode, de la publicité etc. Un jour j’ai vu qu’il n’y avait pas de distinction entre les fichiers des images, et que tout faisait juste une grande archive visuelle. Les peintures de cette série sont un peu comme des notes faites à partir de ces images, des interprétation personnelles, des modifications et des petites réflexions que je me permets de faire autour d’elles. La plupart, en tout cas, vient de l’histoire de l’art. Et là, on trouve plusieurs sujets : des portraits, des vanités, des scènes d’intérieurs... Chacun offre une réflexion différente. La peinture m’intéresse aussi en tant que pratique qui a un certain poids historique à partir duquel on peut travailler. Il ne s’agit pas forcément de rendre un hommage mais plutôt d’être en dialogue… il y a des choses à comprendre dans ce type de dialogues… »
"Sans titre" | Série "Notes d'archive" | Huile sur médium | 90 x 70 cm
« L’autre série, « Aria » est encore en cours. Il y a juste 3 peintures qui ont été finies, elles sont dans cette expo. Les images de départ pour cette série viennent toutes des catalogues de mode, de Gucci, principalement, et d’autres. « Aria » est justement le nom d’une collection de Gucci, mais il s’agit aussi d’un terme musical. Les photos venant du milieu de la mode ont quelque chose d’intéressant : elles reprennent souvent des codes établis par l’histoire de la peinture, donc on y voit un peu l’histoire de l’art à travers un autre filtre, le filtre des campagnes des grandes collections. Ici, j’essaie de m’occuper d’explorer les capacités de l’image, de l’amener peut-être à un état d’expansion de ses qualités poétiques, en essayant d’explorer les possibilités de la peinture. Disons que j’essaie de voir jusqu’où je pourrais amener l’image en lui donnant un autre regard. L’image change toujours, et je ne suis jamais conscient d’où ça va aller, mais ça fait partie du processus, c’est un peu l’aventure. Il y a aussi une petite série de portraits en petit format, où j’essaie, un peu avec cette idée, de laisser la peinture aller, parfois jusqu’à l’erreur, j’essaie en ce moment d’explorer cela et l’amener un peu plus loin… on verra bien ce que ça donne »
Getting deep with Leonardo Vargas
3 questions... C'est ce qu'on a posé pour en savoir plus sur l'univers artistique dans lequel Leonardo nous mène à la réflexion, l'évasion via ses oeuvres afin de mieux comprendre son travail, sa motivation, ses aspirations...
Tu nous parles de "points communs" entre chaque série - quels sont-ils et pourquoi as-tu fait le choix de ces séries pour cette exposition individuelle ?
« Le point commun entre les séries c’est le fait qu’elles ont été produites à partir d’images préexistantes, des images trouvées dans des livres, sur internet. Elles sont soumises après à des modifications qui sont faites pendant le processus de la peinture. Parfois ces transformations gardent un peu l’esprit de l’image originale, et parfois elles partent vers une autre direction, complètement différente concernant les formes, les couleurs... Là, les images prennent un autre sens. C’est le cas des derniers portraits, et c’est mon intention aussi avec la dernière série, « Aria », qui est encore en cours. Le choix des séries présentées à cette exposition correspond plutôt à la taille de la salle d’exposition. On a octroyé à la galerie un espace assez grand, donc il s’agit des séries qui ont la plus grande quantité de pièces, à l’exception de la dernière, « Aria ». D’un autre côté, il y a une cohérence visuelle plus importante entre ces 3 séries; on voulait présenter une certaine unité dans la production générale. »
"Concernant ce que le public peut ressentir ou interpréter, je ne contrôle pas beaucoup… il y a un moment à partir duquel les peintures ne t’appartiennent plus… Une fois exposées, elles peuvent susciter tout type de commentaires ou d’interprétations. Je n’ai pas un contrôle sur ce que les gens vont penser… et je ne vais pas leur dire quoi penser non plus…Je peux juste espérer produire une réflexion…"
Peinture 1 : Portrait | Huile sur Médium 35x27cm
Peinture 2 : Vanitas | Notes d'archive | Huile sur Médium 120x100cm
Peinture 3 : Daguerréotype | Huile sur Médium 50x45cm
Un jour, un monsieur regardait l’une de mes peintures. Il s’éloignait du tableau et après il revenait, il s’approchait, il regardait les détails… Je me suis mis donc à côté pour lui poser la question « est-ce que cela vous plaît ? » il m’a répondu : « I’m struggling » (« je me bats »). J’ai trouvé cela très bien !!
Quelle est ta technique de peinture et pourquoi celle-ci et pas une autre?
« Concernant la technique, c’est juste de la peinture à l’huile. C’est la technique la plus traditionnelle et classique de la peinture. On ne peut pas ignorer la tradition, ni l’histoire non plus, il faut être conscient du fait que la peinture à l’huile peut avoir toute une charge… Mais il ne s’agit pas d’une question de tradition. Quelqu’un a dit : "être pour la tradition est aussi stupide que d’être contre la tradition…" Pour moi, il s’agit d’une question de rendu visuel final, des possibilités techniques offertes par l’huile que l’on ne trouve pas dans les acryliques par exemple… la viscosité, l’apparence, le temps… Cela produit toute une autre sensation, pour celui qui peint et pour le spectateur aussi. Après, il peut y avoir tout type d’opérations techniques pendant le moment d’exécution du tableau. Parfois, je me permets d’ajouter d’autres éléments pour créer certains effets, ou parfois je pourrais ajouter un autre type de pigment, et parfois je pourrais même faire des choses qui ne sont pas « permises » techniquement pour la peinture à l’huile. »
Quel(s) message(s) veux-tu passer à travers tes oeuvres?
« Je racontais récemment cette histoire à quelqu’un avec qui je suis allé voir l’exposition, et chaque fois qu’on me pose la question, la même histoire me vient en tête : Un jour, un monsieur regardait l’une de mes peintures. Il s’éloignait du tableau et après il revenait, il s’approchait, il regardait les détails pendant quelques temps… Je me suis mis donc à côté pour lui poser la question « est-ce que cela vous plaît ? » il m’a répondu : « I’m struggling » (« je me bats »). J’ai trouvé cela très bien !! Le type avait trouvé quelque chose qu’il a considéré comme digne de son attention et de son temps, quelque chose qui l’a retenu pendant un long moment et à laquelle il réfléchissait. Une connexion, une relation.
On a un peu perdu ce type d’approche du visuel. Avec les portables et les écrans on est devenu des consommateurs inconscients d’images. Chaque jour, des centaines d’images devant nos yeux… elles ne constituent plus quelque chose d’important pour nous… Aucune d’entre elles ne nous fait plus nous arrêter pour réfléchir ni pour contempler, on n’a plus le temps… donc, j’espère tout simplement que le spectateur puisse avoir une sorte de conversation avec la peinture, et qu’il puisse établir une vraie relation avec elle. Une relation qui aille au-delà de la banalité de glisser une image avec ses doigts sur un écran, en espérant que ça puisse devenir quelque chose de plus significative…
Après, concernant ce qu’ils peuvent ressentir ou interpréter, je ne contrôle pas beaucoup… il y a un moment à partir duquel les peintures ne t’appartiennent plus… Une fois exposées, elles peuvent susciter tout type de commentaires ou d’interprétations. Je n’ai pas un contrôle sur ce que les gens vont penser… et je ne vais pas leur dire quoi penser non plus…Je peux juste espérer produire une réflexion… Je suppose que c’est comme avoir d’enfants; tu fais tout ce qu’il faut et de ton mieux pendant que tu t’en occupes, mais après ils prennent une vie propre qui n’est plus de ton ressort. »
Peinture 1 : Sans Titre | Série Notes d'archive | Huile sur Médium 61x45cm
Peinture 2 : Daguerréotype | Huile sur Médium 40x40cm
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Quel Univers ! De ce que l'on peut voir, on apprécie finalement la façon dont Leonardo Vargas revisite des images de la vie, qui peuvent nous paraitre bateau de prime abord, pour les retravailler et en faire des chefs d'oeuvres à sa façon. La peinture semble être son moyen à lui de rendre toute chose nouvelle. Couleurs, formes, textures... se mêlent et s'entremêlent pour laisser place à une envie de connexion, d'interpellation du public vers des images hors du commun. De connexions biaisés par la technologie, Leonardo se veut connecteur de relations saines, sensées et authentiques pour stimuler à nouveau les imaginaires épuisées du 21ème siècles. Il communique à travers ses créations avec simplicité et complexité, finesse et vigueur, fougue et douceur... tant de dualités qui en font, somme toute, son unicité.
Leonardo Vargas est un artiste contemporain, originaire de Colombie, basé à Strasbourg, en Alsace, où il développe sa pratique picturale depuis 2016. Il travaille également sur un projet de recherche doctorale sur la peinture face à l'image numérique. C'est dans le cadre de « Pop-Up Galeries », une initiative de la Fondation Fernet Branca qui rassemble une vingtaine de galeries de la région que son travail est actuellement exposé jusqu’au 27 mars 2022 à La Fondation Fernet Branca à Saint Louis, présentée par la Galerie Bertrand Gillig, à un pas de Bâle. C’est un espace de plus de 1500 m2 destiné à l’art contemporain qui a présenté des expositions d'envergure d’artistes emblématiques dont George Mathieu, Serge Poliakoff et d’autres noms de présence importante dans la peinture française comme Ronan Barrot. L’exposition de Leonardo Vargas est proposée par Bertand Gillig et il s'agit de la seule consacrée à présenter le travail d’un artiste individuellement "dans le cadre du "Pop-up Galeries". Elle a suscité des commentaires favorables de la part du grand publique ainsi que de la part des acteurs du milieu artistique qui ont remarqué la qualité des œuvres et de la présentation proposée par l’accrochage de la galerie. Et nous avons bien compris pourquoi.... Nous avons hâte de voir la suite de la série "Aria" et ne pouvons que souhaiter encore et toujours plus de connexions et de relations qualitatives pour le restant de la carrière de Leonardo Vargas.
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